mardi 26 août 2014

Burger King fait l’acquisition de Tim Hortons pour 12,5 milliards $



La chaîne américaine de hamburgers Burger King fait l’acquisition des restaurants Tim Hortons pour 12,5 milliards $. La nouvelle société réalisera des ventes d'environ 23 milliards de dollars et possédera plus de 18 000 restaurants établis dans 100 pays.

Tim Hortons restera basé à Oakville, au Canada, et Burger King à Miami, la nouvelle entité aura son siège au Canada. Cette manœuvre comptable évitera au nouveau géant de la restauration rapide d'avoir à payer des impôts sur ses bénéfices à la fois aux États-Unis et au Canada.

Tim Hortons continuera de gérer ses propres activités, dont le siège social est à Oakville. En d’autres mots, cette transaction ne changera pas la façon dont Tim Hortons collabore avec ses franchisés et son modèle d'affaires. C’est une bonne nouvelle pour les Canadiens qui vouent à l’égard de Tim Hortons un véritable culte.

Tim Hortons, c'est d'abord l'histoire d'un joueur de hockey du même nom (Tim Horton sans le «s») qui cherche à préparer son après-carrière, de Jim Charade, un Montréalais qui travaillera brièvement chez Vachon, et de Ron Joyce, un ex-policier et ex-militaire particulièrement doué pour le marketing et le travail aride. 

Ensemble, ils vont bâtir une chaîne de beignes -- une beignerie -- qui deviendra éventuellement le «joueur» le plus important de l'industrie de la restauration rapide au Canada (22.6 % des revenus, selon les chiffres les plus récents disponibles). 

L'aventure des restaurants Tim Hortons débute en 1964 à Hamilton. Tim Horton, joueur de défense des Maple Leafs de Toronto, gagnant de 4 Coupes Stanley, propriétaire d'une concession automobile et de quelques restaurants de hamburgers cherche à assurer sa retraite à une époque où les joueurs de la LNH avaient un salaire annuel d'environ 40 000 $.

Lors d'une visite chez le coiffeur, Tim Horton rencontre un certain Jim Charade qui revient d'une visite à Boston lors de laquelle il a mangé dans un Mister Donuts. Emballé par son expérience, il suggère à Tim Horton de se lancer dans la vente de beignes.

Le premier restaurant de Tim Hortons lancé en 1964 vend uniquement des beignes et du café -- 69 cents la douzaine. Malheureusement pour Tim Horton, les premiers chiffres ne sont pas à la hauteur. 

Devant la difficulté de la tâche, Tim Horton et Jim Charade partent à la recherche de partenaires franchisés pour garantir la survie de l'entreprise. 

C'est à ce moment qu'ils rencontrent Ron Joyce, un ex-policier qui jouera un rôle clé dans le développement de Tim Hortons. S'il est peu instruit, Ron Joyce est en revanche un surdoué naturel du marketing. 

En 1965, Ron Joyce comprend que la chaîne ne pourra pas à long terme faire reposer son argument de vente sur Tim Horton, le joueur de hockey. Ron Joyce réalise également que la propreté et la standardisation des opérations sont deux éléments clés de la survie de l'entreprise.

Par ailleurs, comme je l'indique en entrevue à Gilles Parent, Ron Joyce saisit la nécessité de repositionner la beignerie, lui donner un slogan distinctif ( « Toujours Frais » ), s'éloigner de l'argument hockey, se donner un logo et lancer constamment des produits originaux dont les célèbres Timbits. 

Il faudra aussi accélérer le franchisage pour augmenter les entrées d'argent et se concentrer initialement dans les petites communautés, donc éviter Toronto.

À force de travail, Ron Joyce finit par impressionner Tim Hortons qui le fait accéder au rang de partenaires de plein exercise en 1967. 

Suite au décès de Tim Horton en 1974 dans un tragique incident de la route alors qu'il cherche à éviter son arrestation par la police, Ron Joyce fait l'acquisition de la chaîne Tim Hortons pour 1 million $ de la veuve de Tim Horton.

Joyce développe alors la marque vigoureusement, lançant divers produits (biscuits - 1981 ; croissants - 1983 ; soupes et chili - 1985 ; bagels - 1996, etc.), multipliant les restaurants et les marchés. Certaines années, Tim Hortons ouvrira jusqu'à 300 restaurants au Canada. 

Seule ombre au tableau, Joyce reconnaîtra dans sa biographie qu'il a trop attendu pour envahir le Québec, laissant toute la place à Dunkin Donuts.

La croisance exponentielle de Tim Hortons attirera éventuellement l'attention du géant américain Wendy's qui se portera acquéreur de la bannière canadienne en 1995 pour 600 millions $ avant de s'en départir définitivement sous les pressions de Nelson Peltz, un raider soucieux de maximiser la valeur intrinsèque des restaurants Tim Hortons au sein de l'actionnariat. 

Dans cette foulée et pour des raison fiscales (oui, oui, dans ce cas-ci également), Tim Hortons redeviendra canadienne en 2009.

samedi 16 août 2014

Comment le Colonel Parker a vendu Elvis Presley


Le Colonel Tom Parker a fait d’Elvis Presley, dont on commémore aujourd'hui le décès, une star mondiale en l’espace de quelques années.

Sur le plan du marketing et de l’image, le Colonel Parker a fait preuve d’une efficacité redoutable dans la promotion des disques et des produits dérivés à l’image du King.

Il est impossible de comprendre le succès d’Elvis Presley sans jeter un coup d’oeil sur la stratégie de marketing du Colonel Tom Parker.

Voici donc comment l’homme qui gérait la carrière du King a révolutionné la façon de mettre en marché les stars de la musique :

1. Choisir le bon produit
En janvier 1955, le Colonel Parker (de son vrai nom Andrea Cornelis van Kuik) entre en contact pour la première fois avec Elvis Presley. 

Au vu des réactions des spectatrices, Parker signe un contrat avec Elvis et se retrouve éventuellement comme le seul responsable de la carrière du chanteur. Il dira plus tard qu’Elvis était un mélange de Marlon Brando et de James Dean. 

Mais attention : le Colonel Parker ne s’intéresse pas à Elvis pour les paroles de ses chansons « I Want You, I Need You, I Love You ». Il s’intéresse à son extraordinaire potentiel commercial.

D’ailleurs, Joan Deary de la maison de disque RCA se plaira à répéter que le Colonel était sourd, donc incapable d’apprécier les talents artistiques du King.

2. Peaufiner l’image de la star et du manager dans les moindres détails
En 1958, au faîte de sa carrière, Elvis est contacté par l’armée pour qu’il fasse son service militaire et donne des concerts gratuits pour stimuler les troupes américaines à l’étranger. 

Sans surprise, ce développement ne plaît aucunement au Colonel Parker. Mais rapidement, Parker comprend qu’Elvis n’a pas le choix. C’est une question d’image. Elvis ne doit pas recevoir de traitement de faveur.

Contre mauvaise fortune bon cœur, Parker persuade Elvis d’effectuer son service militaire comme tout le monde afin d’éviter d’alimenter le mécontentement des vétérans, des familles de militaires, des sénateurs, des politiciens et ultimement, des fans du King du rock and roll.

C’est dans cet esprit qu’Elvis se fera couper les cheveux devant les caméras – un événement médiatique à l’époque ! Ce faisant, Elvis se défait graduellement de son image de mauvais garçon des années 1955-1956 attribuable à son célèbre déhanchement suggestif, ses habitudes vestimentaires et ses problèmes avec la police.

Il devient lentement un pur symbole de l’Amérique et une icone de la culture populaire – un symbole alimenté par les futurs rôles qu’Elvis tiendra au cinéma et pour son amour pour sa mère.

Parker est également convaincu qu’Elvis doit prendre une pause dans sa carrière, ce dernier prenant dangereusement goût à la célébrité et aux excès qui l’accompagne.

Lorsque le King débute son service militaire, le Colonel ne permet pas à Anita Wood, sa copine de l’époque, de l’accompagner en Allemagne, jugeant que la présence de celle-ci pourrait avoir des effets néfastes sur la popularité de son « poulain ».

Quand Elvis, 28 ans, tombe en amour avec une certaine Priscilla, 14 ans, pendant son séjour dans l’armée américaine, le Colonel Parker comprend les dangers qui guettent la star.

Après tout, le Colonel sait que quelques années auparavant, Jerry Lee Lewis a saboté sa carrière en tombant en amour avec une cousine mineure.

Lors du mariage du King, c’est d’ailleurs le Colonel qui veillera à chaque détail : bague, célébrant, invités, salle, etc.

Ajoutons que les contrats avec les studios d’Hollywood impliquant Elvis contiennent des clauses « morales » et que le Colonel craint, plus que tout, les poursuites pour paternité.

En visionnant le film Viva Las Vegas dans lequel Elvis tient le rôle principal avec Ann-Margret, le Colonel constate à quel point l’actrice aux cheveux teint en roux crève l’écran et vole la vedette à Elvis.

Conscient de la couverture média qui s’en suivra, Parker fait des pressions auprès de MGM pour que le studio d’Hollywood maximise l’effet Elvis dans les publicités et dans le montage du film. Ainsi, sur les trois duos enregistrés lors du tournage du film, un seul apparaît dans la version finale de Viva Las Vegas et aucune de ces chansons ne deviendra un single avant la mort du King.

En préparation du tournage de Blue Hawaii, Parker convainc Elvis de se remettre en forme, car se dernier a pris plusieurs kilos, résultat de ses mauvaises habitudes alimentaires et de sa consommation abusive de médicaments.

Pire encore, quand débute le tournage de Clambake, son 25e film, le réalisateur constate qu’Elvis pèse plus de 200 livres, 30 de plus que lors de son film précédent !

À l’époque où le Colonel Parker se cherche un nouveau chanteur pour son écurie, il offre ses services à Jimmy Davis, qui est chanteur de country mais aussi candidat au poste de gouverneur de Louisiane.

Quand Davis est élu, il décerne à Tom Parker le titre honorifique de « Colonel ». Par la suite, Parker se fera un devoir d’utiliser toute sa vie le titre de Colonel en rappelant que pour réussir en affaires, « il est essentiel de connaître les personnes d’influence ».

3. Briser les conventions
C’est en 1939 que Tom Parker devient pour la première fois manager de Gene Austin, un chanteur country. Quelques années plus tard, il devient le gérant d’un autre artiste du country, Eddy Arnold, pour lequel il innove en initiant la vente de produits dérivés avant les spectacles.

Dès octobre 1955, Parker qui agit alors comme « conseiller spécial » d’Elvis, négocie un contrat d’enregistrement pour Elvis chez RCA.

En 1956, Colonel Parker brise à nouveau les conventions. Alors que d’ordinaire, les directeurs artistiques d’une maison de disque choisissent les chansons que leurs poulains vont interpréter, Parker insiste pour qu’Elvis puisse sélectionner son propre répertoire. RCA finit par céder.

Parker innove aussi sur le plan du partage des revenus : initialement, il prend 25 % de la cagnotte d’Elvis en plus des frais de représentation – hôtels, restaurants, déplacements, etc. Pour les spectacles, c’est un tiers pour lui et deux tiers pour Elvis.

Le Colonel Parker exigera éventuellement 50 % des revenus de la vente de disques plutôt que les 10 % habituels. C’est sans compter l’argent liquide que le Colonel va collecter directement des promoteurs et dont Elvis ne verra jamais la couleur.

Le Colonel Parker va aussi insister auprès des promoteurs pour recevoir entre 50 et 60 % de l’argent des ventes de billets à l’avance. Il ira jusqu’à demander des garanties financières au moment de la signature des contrats.

4. Prendre des risques
Lorsqu’un promoteur apostrophe le Colonel Parker pour essayer de comprendre pourquoi Elvis donne des spectacles dans des villes comme Monroe (Lousiane) et Greensboro (Caroline du Nord), le célèbre gérant d’artiste (on dirait aujourd'hui imprésario) répondra : « précisément parce que personne d’autre n’y pense ! »

À l’été 1972, le Colonel plutôt frileux à l’idée de faire chanter Elvis à New York, prend une chance et réserve trois dates consécutives au Madison Square Garden, une première pour l’époque. Fort du succès en prévente, une 4e date est ajoutée, un exploit unique dans les années 70.  

En 1956, le Colonel Parker accepte 40 000 $ d’Hank Saperstein pour faire d’Elvis une marque qui apparaîtra désormais sur plus de 68 produits, dont une poupée, une marque de rouge à lèvres, un bracelet, etc. À la fin de 1956, l’entente a déjà généré des revenus de 22 millions $.

Signe que rien ne l’arrête dans sa quête du profit, Parker met en vente sur le marché des macarons sur lesquels on peut lire « I Hate Elvis » (je déteste Elvis, en français), histoire de faire des sous avec les fans comme avec les haters…

5. Opérer un contrôle total sur la communication
Le Colonel Parker impose des conditions sévères aux gens qui entreront en contact avec Elvis en plus de veiller personnellement à la publicité, aux commanditaires, au calendrier médias et à la conception des affiches du King.

Le Colonel opère un contrôle drastique sur le chanteur, refusant la plupart des demandes d’interviews, dans les magazines comme à la télévision.

Dans le même sens, le Colonel Parker interdit toute communication directe entre les médias et Elvis Presley.

Lors des diverses communications de la star, Parker prendra soin de signer personnellement chaque échange, allant jusqu’à co-signer les cartes de Noël du King. Après les spectacles, il exercera même un certain contrôle sur la prise de photos des fans, craignant qu’Elvis soit associé par la bande à un voyou.

En exerçant ce contrôle, spécialement au moment du service militaire d’Elvis et son séjour en Europe, Parker fut à même de construire plus facilement le « Mythe Elvis » : celui d’un homme innocent, romantique et mystérieux, en amour avec sa maman et ses fans.

Lorsque la popularité du King connaîtra un sursaut après le retour d’Elvis sur scène aux États-Unis, il ira même jusqu’à annoncer à Kay Wheeler, responsable de la gestion du fan club du King, que dorénavant c’est le Colonel qui s’occupera du fan club et que celui-ci sera payant.  

C’est sur ce plan que le Colonel Parker se démarque le plus de ses collègues de l’époque qui se contentaient le plus souvent de réserver des dates de concerts pour leurs poulains. 

Et Parker n’en manque pas une. Lors de son passage à NBC en 1968, une clause particulière permet à Parker d’utiliser la bande-son de l’émission pour en faire un album.

Lors du passage du magazine Life en Allemagne, il exigera d’ailleurs la coquette somme de 25 000 $ pour laisser le photographe prendre quelques croquis du King devant des baraques militaires.

Pourtant, en avril 1956, Parker commet un rare impair lorsqu’il signe Elvis pour une série de spectacles à Las Vegas. Le Colonel dira plus tard qu’il a fait une erreur de public cible ; les fans d’Elvis sont plus jeunes que les amateurs qui peuplaient les salles de spectacles de Las Vegas dans les années cinquante.

6. Maintenir la cadence
Pendant l’absence d’Elvis en Amérique du Nord, Parker ne se contente pas de gérer les petites amies du chanteur. Il comprend aussi qu’il doit alimenter virtuellement ses fans en musique s’il ne veut pas perdre leur attention. Car rien n’est plus infidèle musicalement qu’une jeune adolescente.

Pour cette raison, le Colonel Parker va sortir régulièrement des singles enregistrés avant le départ du King pour l’Allemagne, une idée de génie pour l’époque. Cela lui permet de combler le vide laissé par l’absence du King.

Évidemment, Elvis craint que les jeunes filles passent à autre chose pendant son absence de deux ans de la scène musicale. Mais à son retour au petit écran le 12 mai 1960, dans une émission animée par Frank Sinatra, le King comprend que la magie opère toujours et que la stratégie de communication du Colonel Parker a fonctionné.

Mieux encore, durant son absence pour cause de service militaire, le Colonel Parker génère 3 millions $ en revenus  promotionnels seulement, une industrie naissante à la fin des années cinquante. En outre, ces revenus pour tourner dans des films passent de 200 000 $ à 300 000 $.

7. Multiplier les plateformes de visibilité
Durant sa carrière, Presley tourne dans 31 films, autant de plateformes et de prétextes à danser et chanter la pomme à de jolies filles, dont Ann Margret. Dans certains cas, le tournage de ses films ne prend pas plus de 32 jours !

Pour le Colonel Parker, ces films permettent de vendre des disques et des billets de concert et de garantir la visibilité du King à l’extérieur de l’Amérique sans avoir à se déplacer.

Avant son temps, Parker comprend que la bande-son du film contribuera à vendre des albums et des microsillons. Pour cette raison, chaque film devra compter au moins quatre chansons d’Elvis, idéalement cinq ou plus.

Lors de son premier film, Elvis reçoit 15 000 $, puis 20 000 $ pour le second, 25 000 $ pour le troisième et jusqu’à 100 000 $ pour le septième. Parker signera par la suite des ententes avec Mirisch Brothers, MGM et United Artists à hauteur de 500 000 $ par film.

Chose étonnante considérant l’omniprésence de Parker dans la vie d’Elvis, le Colonel ne tient pas à opérer un droit de regard sur les scénarios de films ou le choix du directeur. De son côté, Elvis est furieux de jouer dans des films aussi médiocres.

On sait aujourd’hui que Parker ne croyait pas au talent de comédien d’Elvis, même si ce dernier, pour le convaincre, se plaira à réciter des scènes entières du film Rebel Without a Cause durant leurs interminables déplacement aux États-Unis dans son autobus de tournées.

Cela n’empêchera pas Elvis de devenir éventuellement le comédien le mieux payé d’Hollywood, un exploit remarquable considérant la qualité des films dans lesquels Elvis joue le rôle du tombeur incompris ! Mais l’acharnement du Colonel à tourner des films de séries B finira par coûter très cher à Elvis.

Ceci dit, quoiqu’on pense des films d’Elvis et de la stratégie du Colonel Parker, Hollywood a permis à Elvis de faire des tonnes de $$$ à une époque où les ventes de disques se font plus difficiles pour la star, spécialement dans le contexte des rassemblements peace and love, l’arrivée des Beatles et des Rolling Stones ainsi que l’époque psychédélique qui s’en suivit.

Car Elvis n’arrivera jamais tout à fait à s’adapter à la nouvelle culture musicale des années 60, bien que son spécial « ELVIS » organisé par Steve Binder donnera à NBC sa meilleure cote d’écoute en 1968.

Par la bande, le succès de visionnement de ce spécial TV (une rare émission mettant en vedette Elvis à la télévision) permet à Elvis de signer à Las Vegas un lucratif contrat avec l’Hôtel International du magnat Kirk Kerkorian : deux spectacles par soir, sept soirs par semaine, pour quatre semaines, une cadence infernale à l’époque.

Pour frapper l’imaginaire des fans d’Elvis et porter un grand coup dans les médias, Parker organisera une campagne de publicité monstre – chaque panneau-affiche de Las Vegas fait la promotion du spectacle à venir – et il diffuse une photo de la star signant son contrat devant l’Hôtel International en construction.

Une comédie montée de toutes pièces pour mousser les revenus générés par la tournée de spectacles et qui permit à l’hôtel de doubler ses revenus de ventes de billets, de restaurants et de jeux.

8. Innover sur le plan de l’utilisation des médias
En 1960, lors de son retour aux États-Unis et en 1968, lorsque le contrat avec la MGM est terminé, Parker rebondit en organisant les come-back d’Elvis, d’abord à la télévision puis sur scène.

Sur ce plan, Parker invente les retrouvailles télévisées (son spécial «Welcome Home Elvis » commandité par Timex avec Frank Sinatra en 1960 et « ELVIS » commandité par Singer en 1968), les retransmissions satellites à l’échelle planétaire (« Aloha from Hawaii » en 1973) et le docu-concert (Elvis : That’s the Way ItIs) présenté à l’origine dans les cinémas en 1970.

En janvier 1973, le spectacle Aloha from Hawaii, présenté à Honolulu, rejoint 1.4 milliard de téléspectateurs dans 54 pays.

Ce spectacle est le dernier grand moment d’Elvis, sa dernière apparition en tant que superstar. L’album qui en découlera fera le Billboard durant 35 semaines en plus d’occuper la première position du Billboard pendant quelques semaines, une première pour Elvis en 9 ans.

Plus que tout et à l’instar de ces films, cette retransmission à l’échelle planétaire permet à Elvis de voyager à l’extérieur des États-Unis sans être contraint de quitter le pays.

9. Faire attention à la surexposition
Selon le Colonel Tom Parker, il faut en donner juste assez pour stimuler l’appétit des fans et alimenter leur imagination. Dans cet esprit, il faut savoir miser sur quelques émissions de télévision clé. 

Et la stratégie porte fruit : lors de son premier passage au Ed Sullivan Show de la CBS le 9 septembre 1956, 82 % des foyers américains avec un téléviseur ouvert syntonisent la prestation du King. Lors de son deuxième passage au Ed Sullivan Show, question d’image, il teint ses cheveux en noir.

Parker justifiera plus tard sa stratégie de visibilité en expliquant qu’il a observé que le fait d’apparaître à la télévision dans des talk-shows était le plus souvent néfaste pour la carrière des artistes, un constat qu’il fera à nouveau en août 1987 lors d’une entrevue à l’émission Nightline avec Ted Koppel. 

En réalité, comme je le mentionne dans ces entrevues avec Guy Simard du 98,5FM et Ray Cloutier du FM93, Parker craint la surexposition du King dans les médias. « S’ils peuvent voir Elvis gratuitement, il ne paieront plus pour le voir en spectacle ou au cinéma ».

C’est le même raisonnement qui amènera le Colonel à contacter personnellement les producteurs des films d’Elvis chaque fois qu’un film sera diffusé « gratuitement » à la télévision traditionnelle.

10. Planifier « l’après-carrière »
À sa mort, Elvis laisse derrière lui une fortune estimée à 150 millions de dollars. Mais très vite, Parker comprend l’extraordinaire potentiel du King sur le plan commercial bien que celui-ci soit décédé.

Après avoir annulé la tournée du King et contacté le père d’Elvis, le Colonel se rend directement à New York pour rencontrer la direction de RCA car il anticipe des ventes records d’albums dans les jours qui vont suivre le décès du King. Parker veut s’assurer que RCA va alimenter chaque magasin de disques à travers le pays.

Dans un deuxième temps, Parker rencontre Harry « the Bear » Geisler, un jeune homme de 48 ans qui est devenu millionnaire du jour au lendemain en vendant des affiches et des t-shirts de Farrah Fawcett au début 1977. Son entreprise, Factors ETC Inc., détient les droits de la célèbre photo de Fawcett ainsi que sur des produits liés aux films Star Wars et Rocky.

Le Colonel veut s’assurer de maximiser les revenus du King « après » sa mort et signer une entente du type Farrah Fawcett. À un journaliste qui l’interroge sur la fin du King, il dira le plus sérieusement du monde : « Elvis n’est pas mort. Son corps l’est mais cela ne signifie rien. Cela ne change rien ».

Sur ce plan, l’industrie de la musique et du spectacle doit une fière chandelle au Colonel Parker, l’inventeur à plusieurs égards de « l’image du défunt». En 1979, le Colonel a déjà négocié plus de 160 ententes pour lequelles il reçoit 50 % des profits.

Comme je le mentionne dans un autre billet consacré aux vedettes décédées de la musique, du sport et du cinéma et dans cette entrevue radio, Elvis reste encore aujourd’hui, une superstar, un artiste qui rapporte plus mort que vivant.

Ce qui faisait dire à Parker, interviewé en 1968 par le journaliste Chris Hutchins : « C’est vrai, je demande 50 % des revenus du King. Mais attendez, j’y pense, ce n’est pas vrai. C’est Elvis qui prend 50 % de chaque sou que je gagne. »

En 1982, après un long procès, le Colonel est condamné à remettre les enregistrements des 350 concerts du King, les films et les émissions de télévision en échange de 2 millions $ par an, un chèque de 225 000 $ des héritiers du King et des paiements mensuels de 40 000 $ jusqu’en 1987.

C’était sans compter sur la petite surprise que réservait le Colonel aux survivants du King.

Quelques jours après avoir signé le contrat qui le séparait définitivement du King, le Colonel Parker entre en contact avec les gestionnaires du chanteur décédé afin de leur mentionner qu’il a toujours en sa possession des objets du King (35 tonnes de matériels dans les faits) et qu’il compte en faire un musée afin de compétitionner Graceland : contrats, photographies, télégrammes, lettres, œuvres d’art, vêtements, etc.

Au moment de prendre possession des droits sur l’image d’Elvis en 1983, la succession du King, avec à sa tête Priscilla Presley dans le rôle de la gestionnaire en chef (en attendant la majorité de Lisa Marie Presley), prépare la stratégie post-Elvis en s’inspirant fortement du Colonel.

Graceland devient la plaque tournante du plan marketing de la succession Presley. De nos jours, seule la Maison-Blanche attire davantage de touristes annuellement aux États-Unis.

Au final, Elvis Presley est avec les Beatles, l’un des premiers artistes à utiliser le marketing pour positionner et mener de front une carrière musicale dans les années 60. 

Le King aura donné plus de 1156 concerts aux États-Unis, 3 au Canada (Vancouver, Toronto et Ottawa - il devait faire un spectacle à Montréal mais le Cardinal Léger a fait des pressions pour annuler le show du King) et 525 spectacles à Las Vegas.

Il a aussi tourné dans 31 films, remporté trois Grammys et vendu 600 millions d’albums à travers le monde (certaines années 50 % de toutes les ventes d’albums de RCA).

À bien des égards, le Colonel Parker a été le premier gérant à construire l’image d’un chanteur dans les moindres détails, une approche qui a inspiré assurément plusieurs gérants par la suite dont René Angélil, agent artistique de Céline Dion et grand fan du Colonel Parker